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Dernière mise à jour : 13 août 2020


10 mars 2019, Forest-Bruxelles.


Je suis à l'arrêt Wiels. J'attends un transport : bus, tram, le premier qui viendra. En ce dernier dimanche des vacances de carnaval, je vais jusqu'à la gare prendre le train qui me conduira vers mon filleul. Nous avons pris rendez-vous il y a quelques semaines déjà. Nous savons tous deux que nous allons nous voir. Je sais par sa mère qu'il ne tient plus en place. Moi aussi, je m'impatiente. Sa maison est encore loin pourtant. Je ne suis qu'à la première étape du chemin. Pour le moment, il fait gris. Il bruine. Je maudis ma décision d'avoir sorti le manteau léger aux premiers rayons de soleil, mais je rage surtout de n'avoir pas changé d'avis au retour de la pluie. Je fais face, alors, autant au froid qu'à mes obstinations débiles. Cela souffle, cependant, je ne plie pas. Le vent se fait plus fort, plus froid, plus piquant, je ne cille pas. Droite comme un « I », je lutte. Tant pis s'il ne fait qu'une brindille de moi, je ne bougerai pas . J'attendrai que cela passe ou qu'un destrier à moteur se pointe pour m'enlever. La bourrasque s'affaiblit un temps. Je m’aperçois vite que ce n'est qu'une accalmie. La brise de tout à l'heure se ragaillardit à présent et souffle de plus belle. Elle déferle sur moi. Les vêtements claquent, mon sang se glace. Elle s'engouffre dans ma bouche et coupe mon souffle. Je m'avoue vaincue et tourne la tête. Le vent profite de ma faiblesse, augmente sa puissance et me fait reculer. Le bus 50 me sauve la mise. Quelques arrêts plus tard, à ma sortie, les hauts immeubles font remparts. Peut-être que ce grand souffleur fulmine. Nous sommes maintenant ex æquo. Je suis sur le le quai 21. Il zigzague entre les colonnes, fait tanguer le panneau d'affichage, utilise l'architecture pour se faire entendre. Il siffle. Serait-il devenu menaçant? Il ne m'affronte plus, ne se frotte plus à moi pourtant. Il n'en n'aura plus l'occasion, enfin, jusqu'à la prochaine fois, mon train arrive au loin.


Il y a dans ce début de voyage, comme un écho à cette après-midi au festival images mentales.



Il y a dans ma position de porteuse de projet comme une résonance avec ce que j'y ai vu.


Des murs bleus, quelques meubles, et un foyer se (re)présente à nous.

Des photographies, quelques fragments d'histoires, et le récit commence.

Dans ce décor familier, des hommes et des femmes qu'ils soient assignés « parent » ou

« enfant» se confient sur leur parcours d'adoption. Ils déplient les étapes, les questions, les émotions, les heurts et les bonheurs.


Très vite, le documentaire interroge. Au fil des diverses interventions, le reportage révèle, en effet,les dissensions en jeux au cœur de l'adoption. Créer une famille qui ne répond pas à l'irrévocable de la génétique semble être ardu. Effectivement, comme nous le dépeins le film, différents principes inhérents à la construction de l'individu sont en question autant du côté des « parents » que des « enfants ». Nous pouvons citer, en exemple, les origines (d'où viens-je ?), l'identité (qui suis-je?), la capacité à s'autodéterminer (qu'est-ce que je veux?) , mais aussi la légitimité.


Dans le cas de l'adoption, ces questionnements apparaissent exacerbés. Cela est probablement dû au fait que l'équation familiale comporte certaines inconnues. Ce qui, dans une famille de sang, paraît aller davantage de soi doit être construit, dans une famille de cœur, et cela ne semble pas être de tout repos.


C'est en tout cas, nous le pensons, le postulat de ce document audio-visuel. En effet, tout au long, chacun des protagonistes explique son cheminement tortueux. Tous progressent sur ce sentier en bon maçon pourtant, la truelle à la main et façonnant, tant bien que mal, leur famille. Sur certains de ces chantiers, après de multiples essais dont il demeure quelquefois des vestiges, le terrain reste, malheureusement, nu faute de matériaux adaptés. Les travaux sont, alors, soit postposés soit carrément abandonnés. Dans d'autres cas, les plans sont révisés avec plus ou moins d'écueils : la maison sera bien différente de celle rêvée. Ainsi, des bâtisses, parfois composées de bric et de broc, sortent de terre. Quelques-unes requièrent encore des étançons, mais elles se tiennent debout, vaille que vaille. D'autres, par contre, fortes de leur stabilité avérée bien que fragile peut-être en sont aux joies des finitions : décoration, aménagement et habitation. Les parents de demain, bâtisseurs aujourd'hui, n'avaient probablement pas, à l'époque, bien mesuré la rudesse de la randonnée avant

de s'y atteler.


Pour clôturer ce carnet de route, ce recueil de témoignages, la réalisatrice laisse l'espace, un instant, à une certaine réaffirmation du possessif. Comme un cri d'appartenance viscérale et indispensable ponctué de mon, ma, mes, nos ou notre. Là, les liens se resserrent ou tentent, une fois de plus, de se consolider.

Puis, nous quittons le confort et l'intimité de la maison. Nous sommes à l'extérieur. Deux femmes, mère et fille maintenant, s'éloignent sur une plage ensoleillée, dos à la caméra. Comme dernières images, l'horizon et elles qui se rejoignent, s'enlacent bras-dessus bras-dessous et avancent vers ailleurs, plus loin.



Comme ces futurs parents, je rêve mon projet. Je l'imagine, le peaufine. J'extrapole. J'envisage les bons et les mauvais côtés. Du moins, j'essaie.


Je prépare l’escapade.


Comme ces parents sans enfant, comme ces enfants sans présence de parents, je suis dans l'attente, en suspension dans le temps. J'ai une envie à satisfaire, un vide ,peut-être, à combler, une curiosité.


J'attends le moment.


Comme eux, je transporte des bouts de bonheur, des reliquats de tristesse, des blessures à soigner.


Je trimbale une valise, un sac à dos.


Comme lui et comme elle, je vais à la rencontre d'un autre.


Sentiment de convergence.


Comme certains, sur cette route, je n'y trouverais peut-être que moi. Cependant je m'y engage innocemment.


Je me mets en mouvement.


Comme eux, je suis sensible au monde. Je ressens et perçois ce qui m'entoure. J'agis en conséquence.


Je subis la météo.


Comme leur projet, mon projet se réalisera, lui aussi, un jour. En tout cas, je l'espère. Je suppose, toutefois, que même si son fond est spécifique, sa concrétisation respectera la loi universelle de l'inadéquation. En effet, quoique anticipé, le projet concret ne collera que peu ou prou au projet rêvé. Il y aura toujours un « *utain de truc qui foire » ou une « *ouille dans le potage » quelque part.


Mes spéculations seront, alors, balayées,

Mes préparatifs bousculés,

Mon dispositif ébranlé.


Comme pour eux.


Déviations, retards, détours, changement de programme, transports loupés...


Peut-être qu'à ce moment-là, je résisterais , un temps, contre ces distorsions, comme eux.

Effrontément, violemment, insensément.

Pensant, je veux et cela doit.


Recalcule d'itinéraire


Peut-être qu'ensuite, je lâcherais prise, comme eux.

Fatiguée, dépossédée ou simplement raisonnée.


Entrez une nouvelle adresse...


Peut-être que je ressentirais le besoin de m'éloigner un temps, comme eux.


Aire d'autoroute.


Peut-être que je serais, furtivement, séduite par le regret, comme eux.

Un peu en déroute.


Calcule en cours.


Peut-être que je serais tentée d'abandonner, comme eux.

En proie aux doutes.


Perte de signale...

Veuillez patienter.


Peut-être qu'après ces instants d'errance, je retrouverais le chemin de la maison, comme eux.


Là où le « je » peut se révéler. Où il se déploie, s’épanouit.

Une juste existence.


Là où le « tu » ne nuit pas.

Une juste présence.


Là où le « nous » est envisageable. Où il se co-construit. Où il enrichit.

Une juste distance.


Là, n'est peut-être pas tout-à-fait la destination de base.

Là, n'est peut-être pas tout-à-fait la forme originale.

Mais, là est à la croisée des chemins.

>>Photo par N.

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